Être aveugle sur Internet

Conversation entre une consultante en accessibilité numérique aveugle et une UX designer
Sylvie Duchateau est consultante en accessibilité numérique depuis plus de 20 ans. Après avoir travaillé pour l’association BrailleNet puis Access42, une coopérative spécialisée en accessibilité, elle a décidé de se lancer comme indépendante. Experte des lecteurs d’écran, elle propose des formations, sensibilisations et tests d’accessibilité, tout en étant engagée dans plusieurs associations. Parmi ses actions bénévoles, Sylvie est aussi engagée depuis 2021 pour Paris Web, la conférence francophone pour un web accessible et de qualité.

C’est d’ailleurs lors de l’édition 2024 que nous nous sommes rencontrées. Sa chienne guide, Shiva, a tout de suite attiré mon attention. Car Sylvie Duchateau est aveugle de naissance. Elle se déplace avec l’aide d’un chien guide depuis près de 20 ans. Quelques mois après notre rencontre, j’ai souhaité l’interroger sur ses besoins en ligne et sa vision de l’accessibilité. Oui, le jeu de mots est intentionnel.
Sylvie m’a parlé des obstacles qu’elle rencontre régulièrement, comme les CAPTCHAs impossibles à contourner, les bannières de cookies mal conçues ou encore les claviers virtuels non accessibles. Elle m’a également expliqué le fonctionnement de sa plage braille, un appareil qui lui permet de lire l’écran ligne par ligne grâce à 40 caractères tactiles.
Nous avons aussi discuté des progrès de l’intelligence artificielle. Si certaines avancées s’avèrent utiles, elles restent encore souvent éloignées des besoins réels des personnes aveugles. Une anecdote m’a particulièrement marquée : pour comprendre les nuances de couleur, Sylvie utilise la musique. Chaque teinte est traduite en sonorité ou en émotion musicale. Notre échange s’est également étendu à des questions plus larges, comme l’importance de sensibiliser et former à l’accessibilité.
Sylvie a rejoint notre réunion sur Microsoft Teams, caméra allumée, et m’a demandé si elle avait bien allumé la lumière. On est tout de suite dans l’ambiance.
Les défis de la navigation en ligne pour les personnes aveugles
Quel est ton handicap et quels sont tes besoins sur Internet ?
Alors moi je n’ai pas peur des mots. Je suis aveugle de naissance et je suis fière de le dire. Ce n'est pas un gros mot, contrairement à ce que disent les gens. Je ne supporte plus le fait de dire « non voyant ». Pourquoi a-t-on peur des mots ? Il faut dire ce qu’on est. Moi je vis avec ça depuis ma naissance donc je l’assume. Après chacun son truc.
Je lis en braille et j’utilise la synthèse vocale. Là, par exemple, ma plage braille m’indique qu’il est 18h07 sans que tu le saches. C’est plus discret. En ce qui concerne mes besoins, ce sont tous les besoins d’une personne qui ne voit pas. J’ai besoin d’alternatives pour les images notamment.
Quel impact l'IA a-t-elle sur l’accessibilité numérique, selon toi ?
Quand je suis sur une application, mon iPhone me décrit tout et n’importe quoi. Par exemple « image de petits oiseaux avec des gens qui tournent en rond et qui se serrent la main ». Mais tu ne sais pas ce que l'image te permet de faire concrètement. J’ai besoin de savoir si c’est pour se connecter, de connaître la fonction de l’image, mais pas forcément que l’image représente des petits oiseaux.
J’ai des applications dédiées qui me décrivent énormément de choses. Par exemple, « vous avez un document de l’URSSAF avec un logo jaune sur fond bleu ». Mais en fait le logo on s’en moque. Il y a des choses impressionnantes quand même, mais je pense qu’il y a des détails qui n’ont pas lieu d’être.
Justement, parlons des couleurs. Comment s’est passée ta collaboration avec une graphiste pour créer ton identité visuelle ?
Comme je suis aveugle de naissance, c’est vrai que les couleurs, je ne me les représente pas. C’est abstrait. Ce ne sont que des mots. Quand ma graphiste a créé le logo de ma micro-entreprise, ça a été le gros challenge parce qu'il a fallu qu'elle me décrive le message qu'elle voulait faire passer. Parfois, je n'arrivais pas trop à m’imaginer ce que cela pouvait représenter. J’ai donc demandé à des amis et des membres de ma famille ce qu’ils en pensaient. Ils trouvaient le bleu « trop ceci » ou « pas assez cela ».
Ma graphiste a donc trouvé des équivalences musicales pour me décrire ces nuances. Elle m’en parlait comme « la note d’un triangle dans une symphonie ». Quelque chose pour amener une touche en plus. Elle a essayé de faire des comparaisons avec des choses que je comprenais, soit la musique, soit la cuisine. Tu rajoutes un peu d’épices dans le ragoût, ça le rend bien meilleur !
En plus ma graphiste ne connaissait pas spécialement l’accessibilité numérique mais j’avais confiance en elle, car elle est famille d’accueil de chiens guides et elle connaît bien nos problématiques. De plus, elle a travaillé en concertation avec Julie Moynat qui s’est occupée de la partie développement de mon site, donc elle a appris plein de choses.
Est-ce que tu as l’impression que l’accessibilité s'améliore avec le temps ?
Les outils changent tout le temps, donc les difficultés se modifient. Le web se complexifie, c'est de plus en plus visuel. Ce que je trouve compliqué, c'est que tu as plein de réseaux, le site web, Facebook que je n'aime pas, Instagram… Tu ne sais plus où aller. Si tu faisais tous les réseaux, tu perdrais ton temps toute la journée. Ce n'est donc pas évident de choisir.
Et puis surtout, un truc qui était accessible avant, du jour au lendemain, ça devient inaccessible. Et c'est cette bataille-là qui est frustrante. Ça fait 20 ans que les lois existent et on en est toujours au même point. Tout d'un coup, on te balance un CAPTCHA, tu ne sais pas d'où il sort. Un code de sécurité en plus. Le faux frère ennemi sécurité-accessibilité. Pourtant, je suis sûre qu'on pourrait les faire travailler ensemble. Mais la sécurité te dit « on a beaucoup de cyber-attaques donc on va mettre un CAPTCHA ». Et du coup l'accessibilité perd un combat. Le problème c’est ça, c'est que les outils aujourd'hui ne respectent même pas le code.
À quoi ressemblent tes démarches de sensibilisation à l’accessibilité numérique ?
J'essaie de donner des anecdotes, c'est super important de montrer comment je galère sur tel ou tel site. Il y a un site que je prenais tout le temps en exemple, mais ils ont progressé donc je ne vais pas les citer. À L'époque, leur vocalisation était entièrement en anglais. Ils n’avaient pas paramétré correctement la langue du site, tout simplement.
Et l'autre problème, c'est que les champs de formulaires n'étaient pas étiquetés comme il faut. Par exemple, tu entrais ton adresse e-mail pour créer ton compte. Une personne voyante pouvait voir un message s’afficher qui disait : « vous avez reçu un code par e-mail ». Mais je ne le voyais pas parce qu’il n’y avait pas d’attribut aria pour le vocaliser. C’est ce genre de choses que je montre aux gens.
Ce que je faisais aussi, c’était que je séparais les gens en deux groupes, un qui utilise un lecteur d'écran et l’autre qui suit ce qui se passe à l’écran. Je demandais au groupe qui ne regardait pas l’écran de me dire sur quel site on était. C’était impossible car le titre de la page était juste intitulé « connexion ». Donc je leur demandais : vous savez sur quel site on est ? Et bien moi non plus ! Donc voilà le problème, si vous ne mettez pas un titre correct à votre page. Et le logo c’est pareil. Les personnes voyantes reconnaissent le logo du site. Moi, si l’alternative de l’image me dit juste « logo », je ne sais pas où je suis. Ce genre d’activités, ça permet aux gens de comprendre pourquoi l’accessibilité c’est important.
En tant qu’UX designer, si je ne pouvais faire qu’une seule chose pour toi ce serait quoi ?
Les clients, souvent, ce qu’ils veulent c’est se faire plaisir. Ils oublient qui va voir leur site. Il faudrait pouvoir faire quelque chose pour que tout le monde puisse l’utiliser sans soucis.
Il faut vraiment arrêter avec les CAPTCHAs. J’ai du mal à distinguer les lettres par la vocalisation. Un coup c’est une voix d’enfant, un coup c’est une voix d’adulte. De plus, il y a un arrière-plan sonore qui rend l’audio peu audible. Est-ce que c’est un S ou un F ? Ce n’est vraiment pas évident.
Et puis parfois, on te demande quelle forme géométrique est un peu différente des autres. J’ai essayé de demander à l’IA de me décrire les images. Alors, imaginons, il y a 4 cercles et 1 carré. Mais après il fallait que je trouve l’image du carré sur laquelle cliquer. Mais je n’ai jamais réussi à la trouver parce que la zone de clic n’est pas divisée en images avec des alternatives. Et puis au bout d’un moment le temps est écoulé donc tu recommences. Très souvent, on ne te laisse pas assez de temps pour faire ces choses. On te déconnecte, donc il faut repartir à zéro. C’est aussi très important pour une personne qui a un handicap moteur et qui saisit lentement d’avoir assez de temps pour réaliser l’action.
Il y a aussi les claviers virtuels, par exemple quand tu te connectes à ta banque. Les chiffres sont dans le désordre pour que tu tapes ton code. C’est vraiment insupportable, car il faut mémoriser l’ordre des chiffres pour retrouver l’endroit où sélectionner le bon chiffre.
Et les bandeaux de cookies, c’est souvent mal fait. Tu as plein de trucs à cocher… C’est pénible parce qu’on le demande à chaque fois.
Et au-delà de l’interface, si on parle de design de service ?
Il y a une assurance qui propose un contrat pour les chiens guides. C’est vraiment chouette, tu payes 150 € pour l’année et tu peux être rapatrié facilement avec ton chien. Quand tu as un accident ou une maladie avec le chien, tu as un formulaire à renvoyer par Internet. Ça, ça va encore. Mais par contre, l’assurance te renvoie un chèque pour te rembourser.
Donc, toi, en tant qu’aveugle, tu dois aller à la banque et remettre ton chèque. Sauf que ça ne se fait plus au comptoir. Il faut passer par l’automate qui ne parle pas. Donc tu dois demander à la personne au comptoir de t’aider, il n’y a aucune confidentialité évidemment. Si ça se trouve elle met le chèque dans l’enveloppe, ou pas. Tu ne sais pas.
Un parcours utilisateur, ça ne s’arrête pas à l’interface en ligne. Et quand j’ai remonté le souci à l’assurance, ils m’ont dit que c’était un problème de logiciel, qu’il faudrait le reprogrammer et que ça prendrait du temps à réaliser. Je ne sais pas s’ils se rendent compte que c’est nous qui avons le plus de mal à nous faire rembourser à cause de ces démarches compliquées !
Est-ce qu’on peut utiliser des verbes comme "voir" dans un libellé de bouton ?
On voit chacun d'une manière différente. C’est Antoine de St Exupéry qui disait : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ». C’est joli ça, non ? Voir, c’est aussi percevoir. Dans notre association, l’ANM’ Chiens Guides, avec certaines personnes aveugles, on se dit parfois « on s’entend bientôt » plutôt qu’« on se voit bientôt ». Ça nous amuse. Parce qu’on a de l’humour quand même. Je pense que ce sont les autres qui ont un problème avec tout ça, plus que moi.
Je me souviens quand j'étais gamine, un jour, j'étais aux Pays-Bas avec mes cousins qui vivaient là-bas. Les gens, ils n’avaient jamais vu un aveugle de leur vie. Et puis les petits gamins, ils me regardaient tous bizarrement. Et ma cousine, qui était elle-même encore une petite fille, avait dit plein de choses en hollandais au gamin. « Pourquoi tu regardes ma cousine comme ça ? ». C'est vrai que les gens, ils te regardent comme une bête curieuse. Mais je pense qu’ils sont plus mal à l'aise que moi dans l'histoire.
Je vois le contenu avec les doigts, en lisant le braille. Je vois mon environnement en l’écoutant, en sentant l’odeur quand je me rapproche de la boulangerie. On perçoit différemment mais on utilise le verbe voir parce que c’est comme ça, c’est dans le langage courant. Même si ce n’est pas voir avec les yeux.
Aides techniques
Est-ce que tous les aveugles lisent le braille ?
Malheureusement non, certains aveugles tardifs ne veulent ou ne peuvent pas se mettre au braille. Parce que la sensibilité des doigts ça s'éduque. Je lis avec l'index et le majeur, mais si tu me demandes d'écrire ou lire avec un autre doigt, j’en serais incapable. Et tu as des personnes qui ne s'y mettront jamais, comme beaucoup d’adultes qui perdent la vue tardivement.
Et puis, le braille prend énormément de place. Je prends toujours l'exemple des Misérables. Ça fait 50 volumes en braille, donc ça ne se transporte pas dans le métro ! Quand j’étais au lycée, j'ai une copine qui avait rêvé que j'étais partie passer le bac avec un caddie de supermarché avec tous mes bouquins. Heureusement, il existe ce qu'on appelle l'abrégé. Ce sont des combinaisons de lettres et de signes qui permettent de raccourcir les mots et de réduire le nombre de volumes en braille. Par exemple, BC, ça veut dire beaucoup, et mt veut dire maintenant. Mais dans un bloc-notes braille, on peut mettre une carte SD pour charger les livres dedans. Ça prend beaucoup moins de place.
Tu ne lis des livres qu’en braille ?
La plage braille que je t’ai montrée coûte 5000 €, ce n’est donc pas donné à tout le monde. Ça aussi, ça peut être une barrière pour lire le braille. Mais la solution de facilité pour moi, c’est d’écouter un livre audio dans mon lit, tranquille. C’est plus discret aussi. Parce qu’à chaque fois que les picots de la plage braille montent ou descendent, ça fait « clac clac ». Donc si tu es au lit et que ton compagnon dort, c’est pas très discret.
Comment marche une plage braille ?
Sur ma plage braille, tu as une ligne de 40 caractères, il y en a aussi de plus petites : le nombre de caractères varie de 12 à 80. Il y a 2 colonnes de 4 picots pour chaque caractère. Selon le caractère à former, il y a des picots qui vont ressortir et d'autres non.
À la fin des 40 caractères, j’appuie sur un bouton pour afficher la suite de la phrase. Pour moi, du texte en braille c’est comme un écran fermé où il n’y a que 40 caractères à la fois. Je ne sais pas ce qu’il y a autour de ce texte. Si on me dit « c’est en haut » ou « à droite », ça ne veut rien dire pour moi. Par contre, si on me dit que l’intitulé du bouton que je cherche c’est « valider », dans ce cas, je peux le trouver avec une recherche de texte.
La page est reformatée en continu sous forme de séquences de 40 caractères. C’est ce qu’on appelle « décoloniser ». C'est-à-dire que les colonnes sont supprimées. Et le texte est affiché en fonction de l’ordre de lecture qui avait été défini. Si la sémantique est bien faite, je peux aussi passer d’un titre à l’autre plutôt que de tout lire à coups de 40 caractères.
C’est quoi la différence entre un lecteur d’écran et la synthèse vocale ?
Un lecteur d'écran est le logiciel qui va interpréter les informations qui s’affichent à l’écran. En fonction des renseignements donnés par le système d’exploitation et le navigateur, le logiciel pourra dire que nous sommes sur un lien, un bouton, une image. Que le lien est visité. Que la liste à puces contient X éléments.
Cette information est convertie sous forme de texte. Elle peut alors être affichée en braille sur la plage braille. Elle peut aussi être vocalisée par une synthèse vocale. La synthèse vocale est, comme son nom l’indique, une voix synthétique qui vient de l’ordinateur ou de l’appareil mobile. Lorsque vous parlez à votre assistant préféré, la voix que vous entendez est une sorte de synthèse vocale.

Les limites de la conformité
Conformité vs accessibilité, tu en penses quoi ?
Je ne pense pas qu'il y ait du versus. On m’a demandé de tester un formulaire l’autre jour et il y avait de gros problèmes d'accessibilité dessus. Il n’y avait pas de titre de page quand tu changeais d'étape. Il y avait un bouton image avec beaucoup trop d’informations ou pas assez, je ne sais plus. Ça rendait le truc inutilisable. Donc ils n’avaient pas vérifié déjà avec leurs prestataires si le site était conforme. Ça ne va pas. Ça ne sert à rien de faire tester un site à une personne qui a un handicap s’il ne respecte pas un minimum d'accessibilité. Ça va être décourageant, elle n’a pas envie de tester un truc comme ça.
Mais ce qui me gêne avec la conformité, c’est cette histoire de pourcentage. Si on dit que le site est conforme à 75 %... d’accord mais il y a encore 25 %. Et souvent dans ces 25 % il y a un CAPTCHA, des alt manquants… Moi ce que je veux c’est pouvoir tout faire de A à Z sans être bloquée pour finaliser ma démarche. Le fait qu’il y ait 75 % de conformité, ça m’importe peu. L’essentiel, c’est que je puisse arriver au bout.
Comment tu vis le militantisme en étant concernée par le handicap ?
Je tiens ça de ma mère qui était déjà très active dans les associations. Elle a été très impliquée dans l'association des parents d'enfants aveugles. Le militantisme, parfois c’était un peu dur à concilier, surtout quand j’étais salariée. On s’attendait à ce que je sois disponible en journée pour des réunions, mais non, je travaille ! C’est comme quand tu demandes les horaires pour une séance de cinéma en audio-description, on te donne un jour et une heure où les gens travaillent en fait. Sous-entendu, ils pensent que les personnes handicapées ne travaillent pas.
Je me suis demandée si j’allais continuer ou pas à travailler en accessibilité numérique. Mais Paris Web, ça m'a permis de rester dans le domaine, d’avoir de la visibilité. Cette conférence est sympa, ça me permet de rencontrer des gens, de pas être toute seule chez moi. Mais c’est du bénévolat et j’ai du mal à lever le pied. Et puis je suis engagée pour une association avec les chiens guides, ça me tient toujours à cœur, car il faut faire avancer le truc.
Est-ce que l'anti-validisme est une cause importante pour toi ?
J'ai toujours un petit peu de mal avec ça. Certaines personnes sont un peu agressives sur le sujet. On entend vite « on peut pas dire ça, c’est validiste ». J’essaye de faire de la sensibilisation plutôt. De faire prendre conscience aux gens de l’importance de faire bouger les choses. Parce que les gens sont peut être validistes, mais ils veulent bien faire. Ils n’ont juste pas appris comment. Je ne m’énerve pas là-dessus.
Ce qui me touche plus, c'est qu’on a une loi qui existe depuis 20 ans, et le web n’est toujours pas accessible. C’est tous les jours que j’ai des problèmes d’accessibilité, dans le numérique ou le bâti. J’en ai marre que ça n’avance pas. Je sors de chez moi, il y a des travaux qui bouchent le trottoir, je suis coincée. Dans le métro il y a parfois deux portes, celle du train et celle du quai. Tout à l’heure, la porte du métro ne s’est pas ouverte entièrement, donc je ne pouvais pas descendre. Et le temps que je change de porte, le métro était reparti et je suis descendue à la station d’après. Ce sont ces choses-là qui m’énervent, plus que le validisme. Tu as l’impression que tout le monde s’en fiche, y compris le gouvernement, les politiques, les décideurs… Ça fait 20 ans qu’on se bat et on en est toujours au même point.
Ce serait quoi la solution pour faire avancer les choses ?
Je ne sais pas s’ils font exprès mais il y a clairement un manque de formation. Enfin, du moins dans le numérique. Il faudrait encore plus former, encore plus sensibiliser. Il faudrait arriver à rentrer dans les écoles. Ça m’est arrivé d’aller faire des sensibilisations aux étudiants en Master à Paris 8 par exemple. Mais c’était 1h30 dans l’année. C’est dommage. L’accessibilité, ça devrait être inclus tout au long des cursus au même titre que la sécurité ou la protection des données.
Est-ce que c’est réaliste une société parfaitement inclusive ?
Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal avec le mot « inclusif ». J’ai l’impression qu’on le ressort à toutes les sauces. C’est un mot à la mode qui veut tout et rien dire. À mon époque, on utilisait « intégration ». On disait par exemple : « je suis dans une école spécialisée mais je vais être intégrée l’année prochaine dans un lycée ordinaire ».
Enfin, je préfère parler d’accessibilité. J’ai l’impression que les gens n’osent pas utiliser les mots. C’est comme quand on dit : « je suis en situation de handicap ». J’ai du mal avec ça. Ou alors quand on dit : « je souffre de handicap » ou « je suis atteint de… ». Moi je ne souffre pas, je suis juste aveugle.
Mais pour répondre à ta question, pour avoir une société accessible, il faut se donner les moyens et je pense que ça passe par la formation. Même si je commence à me demander si c’est réaliste. Ça fait 20 ans qu’on attend. Ils ont sorti ça en 2005 et depuis on entend des « oh c’est trop compliqué » donc on va faire des exceptions. Surtout dans le bâti. « Non, ça c’est un vieux château donc on ne peut pas y toucher ».
J’ai un gros problème avec les terminaux de paiement qui sont souvent tactiles. L’Acte Européen dit qu’il faut qu’ils soient accessibles. Mais ça va concerner les nouveaux terminaux de paiement. Les anciens seront encore utilisés, pas forcément remplacés parce qu’on n’a pas les moyens. Donc ce ne sera toujours pas accessible avant 2030.
Autres ressources
- La justice dans le noir : un documentaire qui raconte les démarches judiciaires de deux personnes aveugles pour souligner le manque d’accessibilité de nos institutions, le besoin de prise de conscience de la société et la mobilisation incontournable des associations pour défendre leurs droits.
- Concevoir pour les personnes déficientes visuelles : le guide des Designers Éthiques pour expérimenter une démarche radicale d’inclusion de l’accessibilité, dès les phases les plus en amont du projet.
- Bien rédiger un alt-text : les erreurs d’alt-text sont parmi les plus fréquentes en accessibilité. Moi-même, j’ai dû en corriger plusieurs sur mon portfolio après un audit d’accessibilité. Le sujet est donc plus complexe qu’il n’y paraît. C’est pourquoi je vous propose quelques conseils pour ne plus vous tromper.